
Je peux compter sur les doigts d’une seule main le nombre de fois où je suis allé manifester : une fois contre le déclenchement imminent de la guerre en Irak, une autre pour supporter la liberté d’expression après les attentats au Charlie Hebdo, puis une fois par solidarité avec mes amis français endeuillés par l’attaque au Bataclan, peut-être une autre manifestation dont mon souvenir est flou…
Bref, est-ce le confort et l’indifférence, mais il est rare que je sois touché en plein cœur. Mais il y a des limites à tout : depuis le 20 janvier, on n’entend parler que d’une personne – le président américain – qui est sur toutes les tribunes, à tous les jours, sans répit. Et dans toutes les rencontres d’amis ou de familles, il est le sujet de nos discussions, pour nous vider le cœur, pour démontrer notre indignation chez les uns, notre découragement chez les autres. Arrive un point où la marmite déborde et que chialer ne suffit plus : il faut se mobiliser.
C’est ce que j’ai fait hier. Habillé chaudement pour endurer des vents polaires qui fouettaient le sud du
Québec, je me suis rendu à la manifestation organisée par le regroupement Mères au front devant le Consulat général américain, rue Ste-Catherine ouest, à Montréal.
Première observation : l’extérieur de ce bâtiment n’est aucunement identifié – aucun écriteau, aucun
drapeau américain, aucun écusson. Ce pourrait être une entreprise à numéro, que ce ne serait guère
différent. Il est par contre surveillé : j’ai compté au moins 6 caméras qui surveillent uniquement la banale
façade avant de cet édifice.
Ensuite : je ne suis pas un expert dans le décompte des foules, mais j’estime que nous étions plusieurs
centaines de personnes, de tous les âges, à braver le froid et à faire du mieux possible des files humaines, ou une toile humaine, connectés que nous étions les uns aux autres en nous tenant la main, entre les rues
Drummond et Metcalfe, d’ouest en est, et au moins jusqu’à la rue de Maisonneuve, vers le nord. Nous
portions une touche de rouge, à l’appel des organisatrices, pour symboliser à la fois le sang (donc la vie),
l’amour, la violence.
Cette manifestation était destinée à rappeler à l’administration américaine que ses tentatives pour réduire les droits des femmes, bien tangibles depuis le renversement de l’amendement Roe vs Wade par la Cour suprême des USA en juin 2022, ne sont pas les bienvenues chez nous. Cette dénonciation vise aussi les politiciens canadiens qui seraient tentés d’imiter le pays voisin.
La manifestation allait plus loin encore.

Elle cristallisait toutes les frustrations et toutes les inquiétudes,
suscitées par les propos tous azimuts, polarisants et contradictoires, du locataire de la Maison-Blanche depuis son assermentation, soit depuis un peu moins de 50 jours, au cours desquels des nations ennemies sont devenues complices, et d’anciens alliés sont devenus ennemis, quand il ne s’est pas agi d’un président élu être traité de dictateur.
Rien d’étonnant à voir dans la foule toutes sortes d’affiches révélatrices, autant de petites perles du langage :
Make America Think Again; La honte change de camp; Femme ta gueule, Trump; Canada 51 e État?? Jamais!; un drapeau ukrainien; Trump, toutes les histoires d’ogres finissent mal!; Donald keep your tiny greedy hands off Canada Tabarnak. La foule a même scandé à l’unisson des « Shame » bien sentis à l’administration Trump, tout en pointant solidairement le doigt d’honneur. Hallucinant!

À mes yeux, le message le plus troublant qui résume tout le sens de ce 8 mars et qui m’a tiré une larme est le suivant : Féminisme – nom masculin (latin femina, femme) = L’idée radicale selon laquelle les femmes sont des personnes. Comment en sommes-nous arrivés à devoir l’écrire à la face de tous?
Les 8 minutes de silence qui ont commencé après l’écoute d’une chanson féminine et féministe ont été
clôturés par des applaudissements et des cris de joie à s’en époumoner.
Ensemble, nous sommes plus forts, c’est bien vrai. Et cette manifestation imitée dans plusieurs villes du Québec, et de partout dans le monde, démontre que nous ne sommes pas seuls, que nous ne nous laisserons pas faire.
À voir l’attitude actuelle de l’administration Trump, il y a fort à parier que d’autres manifestations se tiendront pour le lui rappeler.