Lettre ouverte des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale de Laval

Depuis 2021, le Québec est marqué par une série de féminicides. Chaque homicide conjugal suscite une indignation profonde et met en lumière l’ampleur d’une problématique sociale qui ne cesse de s’aggraver. La Maison L’Esther, la Maison le Prélude et la Maison de Lina reconnaissent que, dans les dernières années, la société s’est mobilisée pour protéger les femmes et les enfants victimes de violence conjugale. De nouvelles mesures ont été mises en place, et les maisons d’hébergement ont été interpellées plus que jamais. Campagnes de sensibilisation, cellules d’intervention rapide pour prévenir les homicides, participation à l’élaboration du tribunal spécialisé, références policières et demandes accrues de la part de la DPJ sont autant d’initiatives nécessaires, mais elles se traduisent par une augmentation constante des besoins d’accompagnement et de protection.
Dans nos maisons, cette pression est devenue difficilement soutenable. Les listes d’attente pour les services externes s’allongent, et près de 45 % des demandes dépassent désormais un délai de neuf semaines. Les services jeunesse connaissent le même sort : près de 36 % des mères et des enfants doivent attendre jusqu’à 14 semaines avant de recevoir du soutien. Nous ne parvenons plus non plus à répondre à toutes les demandes de sensibilisation et de formation provenant des écoles, des milieux professionnels et des organismes communautaires, et près de 37 % de ces demandes doivent être refusées. Le manque de places en hébergement demeure criant et force trop souvent des femmes et leurs enfants à rester dans un contexte dangereux : dans nos trois maisons, 595 femmes et 378 enfants ont dû être refusés faute de place. À cela s’ajoute une reconnaissance financière insuffisante, puisque nos frais administratifs dépassent de 143 % les montants qui nous sont alloués. Cette situation compromet gravement notre capacité à remplir pleinement notre mission et met directement en jeu la sécurité des femmes et des enfants victimes de violence conjugale.
À ces défis s’ajoute un problème structurel : un financement insuffisant et marqué par un retard historique. De 2009 à 2020, les subventions des maisons sont demeurées inchangées. Les hausses consenties depuis 2020, totalisant environ 55 millions de dollars à l’échelle nationale, ont permis un certain rattrapage, notamment pour améliorer les conditions de travail et créer de nouvelles places. Mais ces efforts, bien que réels, ne suffisent pas à combler l’écart accumulé. Aujourd’hui, il faudrait investir l’équivalent d’un autre 55 millions afin d’assurer des services adéquats et de protéger réellement toutes les femmes qui en ont besoin. Le gouvernement a fait une partie du chemin, et nous le reconnaissons, mais il reste encore beaucoup à faire : on ne protège pas les femmes et les enfants à moitié.
Nos maisons d’hébergement sont à un tournant. Si nous avons réussi à bonifier les salaires, ceux-ci demeurent insuffisants pour stabiliser nos équipes et contrer les problèmes de recrutement et de rétention. La pression sur la masse salariale est forte et nous craignons que, pour maintenir les acquis, il faille réduire les services. Or, chaque service coupé, chaque demande à laquelle nous ne pouvons répondre représente un risque accru pour des femmes et des enfants déjà vulnérables.
Nous invitons l’ensemble de la société à s’indigner avec la même force que lors des annonces de réductions dans le milieu scolaire. La sécurité et la dignité des femmes et des enfants vivant dans un contexte de violence conjugale ne peuvent être considérées comme secondaires. Il est essentiel de rappeler que ces services sauvent des vies et qu’ils doivent être protégés et renforcés. En tant que société, nous avons la responsabilité de maintenir la pression et d’exiger que les femmes et les enfants victimes de violence conjugale puissent compter sur des ressources accessibles et adaptées à leurs réalités.
Depuis toujours, les maisons d’hébergement sont au cœur de la lutte contre la violence conjugale. Elles ont démontré leur expertise, leur résilience et leur engagement indéfectible envers les femmes et les enfants. Mais aujourd’hui, sans un rehaussement significatif et récurrent du financement, cette mission est mise en péril. Il est temps de reconnaître pleinement l’importance vitale de nos actions et d’y investir à la hauteur des besoins. Parce que protéger les femmes et leurs enfants, c’est protéger toute la société.
Signé par les gestionnaires des maisons d’hébergement en violence conjugale de Laval : Marie-Pier Labrecque; Maison L’Esther, Mélanie Guénette; Maison le Prélude et Laura Michaud; Maison de Lina.