Projet de condos locatifs à Laval : La bibliothèque Multiculturelle sacrifiée pour du béton
La récente chronique de l’irréductible lavallois a ressuscité la curiosité des citoyens pour un dossier qui a marqué, la ville de Laval. Suite à cette lecture, nous nous sommes rendus sur place pour constater que la Maison du commerce est en cours de démolition. Ce bâtiment emblématique, ainsi que la bibliothèque Multiculturelle, vont laisser place à un projet de condominiums locatifs développé par Lafleur Construction.
Un projet controversé prend forme
Le site de la bibliothèque Multiculturelle et de l’ancienne Maison du commerce fera place à un imposant complexe de 670 condos locatifs. Après avoir été dans l’impasse à l’automne 2021, ce projet immobilier a finalement obtenu les autorisations municipales requises en août 2023, comme l’a indiqué le chef aux Affaires publiques de la Ville de Laval, Philippe Déry (Courrier Laval, 12 octobre 2024).
Aldo Coviello Jr, président d’Aldo Construction, est le promoteur derrière ce projet. Il est également connu pour avoir été à l’origine des tours de 28 et 30 étages projetées sur le site de la marina du Commodore il y a plus d’une décennie dans le quartier Pont-Viau. Ce projet controversé n’avait pas survécu à la chute de l’ex-maire Gilles Vaillancourt, et son abandon par l’administration Demers en 2014 avait mené à la plus importante poursuite de l’histoire de la Ville de Laval.
Un règlement hors cour critiqué
En 2020, un règlement hors cour était intervenu entre la Ville de Laval et Aldo Coviello Jr. L’administration Demers-Boyer avait cédé au promoteur les deux immeubles municipaux en façade du boulevard Chomedey, situés à moins de 200 mètres de l’hôtel de ville. En échange, la Ville avait acquis le terrain en rive de la marina Le Commodore. Ce règlement avait coûté à la Ville la somme de 13,8 millions de dollars (Courrier Laval, 7 mai 2020).
Ce règlement avait suscité de vives critiques. Michel Trottier et Michel Poissant, alors conseillers municipaux (jusqu’en 2021), avaient dénoncé l’entente, la qualifiant de « fiasco financier » et d’« échec colossal » pour la Ville de Laval. Ils avaient souligné que les coûts réels pour les contribuables lavallois seraient bien supérieurs au montant annoncé, en tenant compte des frais juridiques, des coûts de relocalisation et de construction d’une nouvelle bibliothèque, ainsi que du manque à gagner lié à la cession des immeubles municipaux.
Claude Larochelle, toujours conseiller municipal en 2024, avait également exprimé ses préoccupations concernant la valeur des immeubles cédés :
« Pourquoi la Ville n’a pas demandé d’évaluation agréée pour établir la véritable valeur marchande de ses immeubles avant de les céder à un promoteur ? Deux terrains au centre-ville zonés 15 étages et on ne demande pas d’évaluation professionnelle alors qu’on le fait tout le temps. » (Courrier Laval, 7 mai 2020)
Stéphane Boyer, qui était vice-président du comité exécutif en 2020 et est devenu maire de Laval en novembre 2021, avait défendu le règlement hors cour en déclarant :
« Avec cette entente-là, on met fin au suspense juridique, on vient protéger la berge, on arrête de payer des frais d’avocats et deux terrains vont être développés et vont générer des nouveaux revenus pour la Municipalité. C’est une excellente entente. »
Le nouveau complexe résidentiel
Le projet immobilier prévoit deux bâtiments de 15 étages qui se déploieront en quatre phases, totalisant 670 logements. Le nombre initial de logements a été réduit de 723 à 670, incluant l’abandon de huit maisons de ville projetées initialement. Le premier bâtiment s’érigera à l’angle du boulevard Chomedey et de la rue des Châteaux, là où l’ancienne Maison du commerce est en cours de démolition (Courrier Laval, 21 septembre 2024).
La première phase abritera 251 logements, suivie de deux phases de 92 et 95 logements répartis sur 8 et 9 étages respectivement. Le dernier bâtiment prévoit 232 unités d’habitation sur 15 étages. Parmi les améliorations apportées aux plans originaux, la Ville a souligné :
- La réduction de l’ombre portée sur l’immeuble à logements de 8 étages sur la rue des Châteaux ;
- Un meilleur encadrement du boulevard Chomedey ;
- Une diminution des aires asphaltées ;
- Un ensemble plus harmonieux où les deux bâtiments s’agencent de façon plus complémentaire.
Le projet avait initialement été refusé en novembre 2021 par le comité exécutif de la Ville, qui jugeait qu’il n’atteignait pas les objectifs d’intégration harmonieuse avec le milieu. Après des modifications, la nouvelle version du projet a été autorisée en août 2023 (Courrier Laval, 12 octobre 2024).
Une page d’histoire se tourne
La démolition de la Maison du commerce, inaugurée en 1988 sous l’impulsion de Jean Rizzuto, alors président de la Chambre de commerce de Laval, marque la fin d’une époque. Ce bâtiment avait été érigé pour réunir sous un même toit tous les intervenants du milieu économique lavallois de l’époque (Courrier Laval, 21 septembre 2024).
La bibliothèque Multiculturelle, également vouée à la démolition, doit être relocalisée au Centre Alain-Grandbois d’ici le 31 mars 2025. Cet immeuble municipal faisait partie de la transaction lors du règlement hors cour intervenu en 2020.
Des questions sur les coûts réels pour la Ville
Le projet soulève des interrogations quant à la valeur réelle des immeubles cédés par la Ville et les coûts totaux pour les contribuables. La différence entre la valeur foncière et la valeur marchande des bâtiments cédés n’a pas été clairement établie, et certains craignent que la Ville ait sous-évalué ses actifs dans cette transaction.
Les coûts associés à la relocalisation de la bibliothèque Multiculturelle et à la construction éventuelle d’une nouvelle installation restent également à déterminer. Les frais juridiques engagés par la Ville dans ce litige, estimés à plusieurs millions de dollars, viennent s’ajouter à la facture globale.
Vers un nouveau paysage urbain, mais à quel prix ?
Le projet de condominiums locatifs qui prendra la place de la Maison du commerce et de la bibliothèque Multiculturelle représente une transformation significative du paysage urbain au cœur de Laval. Si certains y voient une opportunité de revitalisation et de nouveaux revenus pour la Ville, d’autres s’inquiètent des impacts sur le patrimoine municipal et les finances publiques.
La question demeure de savoir comment ce nouveau complexe s’intégrera dans le tissu urbain existant et répondra aux besoins des Lavallois en matière de logement, d’espaces verts et de services communautaires. Les critiques quant à la gestion du dossier par la Ville soulèvent également des préoccupations sur la transparence et l’utilisation des fonds publics.